Les animaux au Caire au XVIII siècle

Mardi 31 Décembre 2019-00:00:00
' Ayman Elghandour

Nerval, Flaubert et Gautier ont observé que les petites gens et les animaux co-existaient harmonieusement. Gautier nous a fait voir leur liaison étroite avec la terre au point qu'ils étaient teintés de sa couleur: les paysans bronzés et les ânes et les buffles presque gris. L'auteur désigne que les villageoises mènent une vie misérable, ressemblant à celle des bestiaux; elles "n'ont d'autre moyen de locomotion que leurs petits pieds, auxquels la poussière met des brodequins gris." Tout est pétri de la terre et s'en dégage péniblement. A son tour, Nerval affirme cette ressemblance lorsqu'il compare les esclaves éthiopiennes à des singes. Il remarque que "leur pied, allongé et développé sans doute par l'habitude de monter aux arbres, se rattachait sensiblement à la famille des quadrumanes." Ceci nous révèle le mépris et la méconnaissance de Nerval envers l'Autre. Enfin Flaubert a mis l'accent sur la bestialité qui avait dominé l'humain et changé la société en bêtes. Cette perte de l'humain s'exprime par des représentations avilissantes qui chosifient les personnages. Ceci paraît évidemment avec un spectacle frappant: "un enfant sur la route de Choubra se faisait enculer par un singe." Cette domination animale est fortifiée par un autre spectacle dans le Voyage en Orient de Nerval où nous Voyons Le Cheikh "passer à cheval sur les reins de soixante croyants pressés sans le moindre intervalle, ayant les bras croisés sous leur tête. Le cheval était ferré". Ces derniers sont si prosternés qu'ils révèlent bien la soumission humaine qui nous pousse à mettre en relief les esclaves et les petites gens, semblables aux bêtes consacrées au service de la classe riche.

‪Cependant l'animal reste misérable en Égypte et souffre à cause de la violence humaine. La cruauté de l'homme envers les animaux ne disparaît pas. On peut trouver des ânes mal-nourris tirer des chariots extrêmement lourds. Bien plus le gouvernement égyptien ordonne sans cesse de tuer les chiens errants. Nerval nous a indiqué que personne ne s'intéressait à ces animaux, nombreux dans les rues du Caire. Pendant son retour nocturne à la maison, il a dû échapper aux chiens terribles qui le suivaient tout en hurlant, présentés comme gardiens de la ville. Ils aident la police à sauver les cinquante-trois quartiers. Malgré cette situation horrible, l'auteur a minutieusement observé que "les chiens eux-mêmes, qui pullulent en paix dans la ville sans appartenir à personne, reconnaissent ces divisions et ne se hasarderaient pas au-delà sans danger. Une nouvelle escorte canine remplace bientôt celle qui [les] a quittés."

‪Grâce à son long séjour au Caire, Nerval a mis en relief l'utilité des animaux. Pour s'habiller à la mode arabe, il a "acheté un de ces manteaux de poil de chameau nommés machlah qui couvrent un homme des épaules aux pieds ". C'est lui qui nous a conduits à la fête du mariage, présentant une des coutumes égyptiennes; il s'agit d' "un sacrifice de moutons sur le seuil de la porte avant le passage de l'épousée ". Et pour des raisons économiques, il a quitté l'hôtel, habitant une vieille maison. Au marché, il nous a esquissé un tableau expressif: "Les femmes fellahs stationnent partout dans les rues avec des cages pleines de poules, de pigeons et de canards; on vend même au boisseau les poulets éclos dans les fours à œufs si célèbres du pays; des Bédouins apportent le matin des coqs de bruyère et des cailles." Le voyageur a acheté des volailles qu'il devrait engraisser au maïs. Nous avons vu le chevrier lui amener du lait chaud. "Il entra dans la cour avec ses bêtes, et se mit à en traire une dans un vase de faïence neuve."  Ce qui précède révèle la présence bestiale dans la vie quotidienne de Nerval. A travers son ouvrage, nous avons rencontré des âniers, des chameliers, des chevriers, des montreurs de singes, des bouchers, des marchands de poissons sans oublier le juif  Youssef, éleveur de vers à soie.